Fujiko Nakaya préparant l’installation MU à l’Institut Français de Tokyo, septembre 2009.
Photo : Anne-Marie Duguet

 


Anarchive nº5 - FUJIKO NAKAYA 中谷 芙二子
FOG 霧 BROUILLARD


BIOGRAPHIE DE FUJIKO NAKAYA

Fujiko Nakaya, deuxième fille d'Ukichiro Nakaya, physicien et professeur à l'Université des sciences d'Hokkaido, est née en 1933 à Sapporo, dans l'île d'Hokkaido. Après avoir obtenu son diplôme à la High School de la Japan Women's University de Tokyo, elle s'inscrit à la Northwestern University d'Evanston (Illinois) où elle obtient un Bachelor of Arts en 1957. Elle s'installe ensuite à Paris et à Madrid, où elle étudie la peinture jusqu'en 1959. En 1960, ses peintures à l'huile sont montrées dans une exposition, avec celles d'un autre artiste, à la Sherman Art Gallery de Chicago. Cette même année, elle rentre au Japon et fait en 1962, sa première exposition personnelle à la Tokyo Gallery avec douze de ses toiles.

Les années 60 : de E.A.T. (Experiments in Art and Technology) à l'Expo'70

En 1966, Fujiko Nakaya participe à une série de performances réalisées par dix artistes en collaboration avec plus de trente ingénieurs et chercheurs des laboratoires de Bell Telephone, intitulée «9 Evenings: Theatre and Engineering.» Ces soirées étaient organisées à New York par l'ingénieur Billy Klüver et l'artiste Robert Rauschenberg.

La même année, avec l'ingénieur Fred Waldhauer et l'artiste Robert Whitman ils vont fonder Experiments in Art and Technology (E.A.T.) qui vise à réunir des artistes et des ingénieurs autour de projets communs — groupe que rejoint Fujiko Nakaya. Des artistes aussi importants que John Cage, Merce Cunningham, Jean Tinguely et Andy Warhol participent aux projets de E.A.T. En 1969, Fujiko Nakaya devient la représentante de E.A.T. à Tokyo et participe avec les membres du groupe et d'autres ingénieurs à l'élaboration du Pavillon Pepsi, pour l'exposition universelle d'Osaka en 1970. À cette occasion, elle utilise pour la première fois du brouillard artificiel pour créer une sculpture « atmosphérique » (sculpture de brouillard) qui enveloppe complètement le bâtiment.

Elle a, depuis lors, créé une série de sculptures de brouillard destinées à des espaces publics, des bâtiments ou des parcs, souvent en collaboration avec d'autres artistes et scientifiques. Les sculptures de Fujiko Nakaya reposent essentiellement sur la dynamique qui résulte de l'interrelation entre le brouillard artificiel et notre environnement naturel, incitant les gens à s'immerger physiquement dans un dialogue avec la nature.

Les années 70 : de l'art vidéo au Process Art

En 1971, l'année qui suit l'exposition universelle d'Osaka, Fujiko Nakaya fonde E.A.T. Tokyo et, en collaboration avec Hakudo Kobayashi et Yuji Morioka, membres du groupe, elle organise le premier projet international d'E.A.T., «Utopia Q&A 1981» (Sony Building, Ginza). Les visiteurs de l'exposition, organisée simultanément dans quatre villes — Tokyo, New York, Stockholm et Ahmadabad (Inde) —, étaient invités à communiquer au moyen de lignes de Telex gratuites, en posant des questions, et en répondant à d'autres, relatives à l'année 1981, soit une décennie plus tard. Précurseur, d'une certaine façon, de l'Internet, le projet promouvait un réseau global de communication entre les individus.

Parallèlement à sa participation aux projets E.A.T., Fujiko Nakaya commence à produire des œuvres vidéo. La première d'entre elles, «Friends of Minamata Victims—Video Diary» (1972), est l'enregistrement d'une manifestation et d'un sit-in organisé devant l'immeuble Mitsubishi Heavy Industries, situé au centre de Tokyo, siège de Chisso Corporation. Les manifestants protestaient contre la pollution au mercure provoquée par l'entreprise, responsable de la maladie de Minamata. Fujiko Nakaya avait installé un écran vidéo sur place permettant aux participants de voir leurs actions enregistrées, faisant de ce travail aussi une expérience sur les effets du feedback vidéo.

En 1972, elle fonde également VIDEO HIROBA avec Katsuhiro Yamaguchi, Yoshiaki Tono, Nobuhiro Kawanaka, Hakudo Kobayashi, et d'autres. Le propos de ce groupe était de briser les codes établis en matière d'art et d'explorer la vidéo à la fois comme processus de création et comme moyen de communication. En 1973, elle collabore avec Hakudo Kabayashi et Yuji Morioka au projet «Old People's Wisdom—Cultural DNA», une série d'entretiens filmés en vidéo avec des personnes âgées chez elles et dans des communautés d'accueil — afin de conserver et de partager la sagesse de la génération précédente. Elle produit aussi «Hands», une série vidéo comprenant notamment des travaux tels que «Statics of an Egg» (1973), un enregistrement vidéo continu montrant une tentative de faire tenir debout un œuf, et «Coordination: Right Hand/Left Hand» (1979) où des mains taillent un crayon avec un couteau — idée suggérée par une controverse de l'époque sur les résultats d'une étude montrant que les enfants japonais ne possédaient plus ce savoir-faire élémentaire. En 1979, Fujiko Nakaya fonde Processart Inc. destiné à distribuer les travaux vidéo d'autres artistes.
 

Les années 80 : de nouveaux horizons

En 1980, Fujiko Nakaya ouvre la galerie vidéo SCAN à Harajuku, Tokyo. Outre l'exposition de travaux vidéo d'artistes japonais et internationaux, la galerie organise deux fois par an un concours de premières œuvres vidéo, promouvant ainsi de nombreux talents prometteurs. À partir de 1987, Fujiko Nakaya organise à Spiral, Tokyo, le Japan International Video Television Festival, au cours duquel elle présente des œuvres de vidéastes du monde entier et anime des symposiums. Pendant cette même période, elle crée une série d'installations vidéo qui comprend des travaux tels que «Waterfall: An Integrated River», (Miyagi Museum of Art, 1981), «Meltee-vee» (Musée d'Art Moderne, Toyama, 1983) et «Four Wells» (Musée International de Tokyo, 1990-91).

Parallèlement, Fujiko Nakaya conçoit d'autres sculptures de brouillard, «Earth Talk» (deuxième Biennale de Sydney) en 1976 et «Cloud Lake» (11th International Sculpture Conference) en 1980. Cette même année, elle collabore avec d'autres artistes et crée «Opal Loop/Cloud Installation» (New York, performance qui sera recréée en 1981, 1996 et 2010) pour la compagnie de danse Trisha Brown, puis «Fog Sculpture Kawaji», avec une performance sonore de Bill Viola. En 1983, «Earth Talk», rebaptisée «Foggy Wake in a Desert» est installée de façon permanente dans le Jardin des sculptures de la Galerie nationale d'Australie à Canberra, depuis l'inauguration du musée. Cette œuvre fut créée à l'origine dans le cadre d'un projet mené en collaboration avec le Dr Yasushi Mitsuta de l'Université de Kyoto, destiné à étudier les causes de la désertification.
 

Les années 90 : œuvres pour l'espace public

En 1992, après le succès du Japan '92 International Video Television Festival de Spiral, Fujiko Nakaya commence à produire des sculptures de brouillard pour de nombreux lieux différents allant de résidences privées à des parcs nationaux. En 1992, elle achève son œuvre permanente la plus importante depuis 1985 : «Foggy Forest», une sculpture de brouillard, dans la «Forêt des Enfants» du parc Showa Kinen de Tachikawa, Tokyo. Cette installation tout à fait innovante, qui permet à des enfants de faire l'expérience multi-sensorielle de la nature dans un environnement de brume en perpétuel mouvement, lui vaut le Yoshida Isoya Award Special Prize. L'année suivante, en 1994, elle réalise «Greenland Glacial Moraine Garden» pour le Musée de la neige et de la glace Ukichiro Nakaya. Situé dans la ville de Kaga, dans la préfecture de Ishikawa — ce musée est dédié à l'œuvre de son père, physicien de renom. À l'étranger, «F.O.G.», créée pour le vernissage de la rétrospective consacrée à Robert Rauschenberg (1998) au Musée Guggenheim de Bilbao, Espagne, entre dans la collection permanente du musée l'année suivante.
 

2000 : réagir à l'évolution de son temps

Au moment où s'affirment de nouvelles préoccupations pour une coexistence plus harmonieuse avec notre environnement, les sculptures de brouillard de Fujiko Nakaya font, tant au Japon que dans le reste du monde, l'objet d'une attention et d'un respect croissants, d'une part pour leur impact innovant et dynamique et, d'autre part parce qu'elles rendent intelligible l'interaction avec la nature et l'environnement. Par ailleurs, Fujiko Nakaya s'investit de plus en plus dans des collaborations avec d'autres artistes, tendance manifeste dans son travail depuis les années 1990.

Elle collabore depuis plusieurs années avec l'artiste multi-média, Shiro Takatani, pour la conception d'installations montrées partout dans le monde, notamment IRIS (Biennale de Valence, Espagne, 2001); la promenade de brouillard «Olas del Cielo» ( Barcelone, 2004); «Cloud Forest» (Yamaguchi Center for Arts and Media, 2010). En 2008, à la troisième Triennale de Yokohama, Fujiko Nakaya crée «Tales of Ugetsu» pour le célèbre jardin Sankeien en collaboration avec Sota Ichikawa/doubleNegatives Architecture, qui a conçu à cette occasion un programme pour contrôler le brouillard en fonction d'un feedback atmosphérique, et avec Takayuki Fujimoto pour les éclairages. Le concept que Fujiko Nakaya avait développé quarante ans plus tôt lors de la création du «Pavillon Pepsi» pour l'exposition d'Osaka en 1970, où le brouillard était porté par la force naturelle du vent contrôlant l'opération des pompes en temps réel, trouvait ici sa pleine réalisation. «Tales of Ugetsu», fut unanimement saluée pour la façon dont l'œuvre utilisait les forces de la nature et faisait prendre conscience de la relation existant entre l'homme et la nature, nous encourageant par là à changer notre manière de regarder notre environnement.

L'interaction de l'art et de la nature, de l'art et de la technologie, et l'intérêt pour des moyens d'expression multiples, caractérisent l'œuvre de Fujiko Nakaya. Cet esprit de questionnement au moyen des techniques les plus modernes, qu'elle partage avec ses collaborateurs, est devenu l'héritage de nombreux artistes et spécialistes d'autres disciplines.
 
Distinctions. Prix:
1976 Prix Australien de la Culture  -Sculpture de brouillard #94768 «Earth Talk»
1983 Finaliste du Premier Concours international de la Sculpture d'eau -Performance de brouillard «Louisiana Dump»
1990 Laser d'Or, Festival Vidéo de Locarno -Contribution de SCAN-
1992 Minister of Construction Award -«Foggy Forest»
1993 Yoshida Isoya Special Award -«Foggy Forest»
2001 Prix du Ministère de la Communication pour sa contribution au programme HDTV
2006 Nominée pour le Prix Descartes Art et Communication Commission de l'Union Européenne
2009 Prix spécial du Ministère de l'Education, de la Culture, des Sports, Sciences et Technologies, pour sa contribution dans le domaine des arts et des médias, Japan Media Arts Festival, février
 
Brevet
1989 "System/apparatus for making a cloud sculpture from water-fog" Brevet #1502386